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Sans remise de Peine (1/2)

Libye (2019-2020)
  • Libye (2019-2020)

    Sans remise de peine (1/2)

Malgré la situation instable, la Libye reste un pays incontournable pour l'immigration, principalement pour des raisons économiques, mais aussi pour le transit de demandeurs d’asile/réfugiés qui tentent d'atteindre l'Europe.
Selon les chiffres de l’Organisation Internationale pour les Migrations (IOM), fin 2020, environ 575 000 "migrants" étaient présents en Libye, dont une majorité pour y travailler.
Il faut préciser que le terme "migrants" ne représente en aucun cas une entité mais évoque un ensemble d’individus, des hommes, des femmes & des enfants, de nationalités et d’histoires différentes avec autant de raisons de vouloir quitter leur pays…

Il y a officiellement une douzaine de centres de détentions sous le contrôle de la Direction de la Lutte contre les Migrations Illégales (DCIM) relevant du Ministère de l'Intérieur du Gouvernement d’Union Nationale (GNA). Ils abritent en tout et pour tout 2 500 à 3 000 détenus. Mais il existe beaucoup de centres de détention clandestins, gérés quant à eux, par les passeurs et les trafiquants.
Malheureusement, la Libye ne disposant pas d’un gouvernement stable depuis 2011 (chute de Mouammar Kadhafi), la plupart de ces centres de détention officiels sont contrôlés par des milices. D’un centre à l’autre, une exposition à la violence ou une perméabilité aux trafiquants, varient considérablement…
Une fois enfermés, les détenus ne savent jamais quand ils sortiront. Certains s’en échappent, d’autres parviennent à acheter leur libération, beaucoup y croupissent des mois ou même des années.
L’attente indéterminée sans espoir y est psychologiquement & physiquement dévastatrice.
Il n’est pas rare que des détenus doivent maîtriser leur compagnon de chambrée, présentant des troubles de santé mentale, pour les empêcher de se blesser ou même de se tuer.
Les migrants sont aussi régulièrement kidnappés, réduits à l’état d’esclaves ou torturés contre rançon…

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Témoignages
de détenus

« J’ai 16 ou 17 ans, je ne suis plus sûr… j’ai quitté mon pays il y a trois ans. Pendant la traversée du Sahara, la voiture a eu un accident et je me suis fracturé le coccyx. Je me suis retrouvé captif aux mains d’un trafiquant. J’ai été battu quotidiennement pendant trois mois jusqu’à ce que ma famille paye la rançon. Ensuite, en rejoignant la mer, j’ai de nouveau été capturé et encore rançonné. Finalement, j’ai enfin pu prendre la mer… Après plus de 24 heures de trajet, nous avons croisé un navire italien qui nous a porté secours. Nous pensions aller en Italie, mais ils nous ont ramené en Libye, où nous avons été remis aux garde-côtes libyens.
Ici, nous n’avons aucune solution. Comment pouvons-nous sortir d’ici alors même que le HCR (Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés) ne nous prête aucune attention ? Nous sommes désespérés, nous sommes, ici, sur le chemin de notre propre mort, alors qui peut nous aider ? Je suis un des plus jeunes ici, mais je reste assis comme les “vieux”. Je ne peux plus jouer, plus travailler, plus rien apprécier, je suis détenu ici… »
Février 2020 - A.M.

« En Libye, j’ai été détenu plus de trois ans, je n’attends plus rien de personne, jour après jour je pleure à l’intérieur »
Février 2020 - M.T.

« Je suis parti de chez moi en 2015, ces cinq dernières années je n’ai connu quasiment que la captivité. Enfermés, nous mourrons à petit feu... »
Février 2020 - M.A.

« Qui est là pour nous entendre et répondre à nos besoins ? Que fait le HCR ? Y a-t-il vraiment un espoir pour nous ? »
Février 2020 - D.A.

« Nous avons besoin d’aide, La Libye est comme l’enfer pour nous…  J’ai 49 ans je suis fatigué et bien trop vieux pour dire quoi que ce soit ! »
Février 2020 - S.M.

« Je suis arrivé en Libye avec ma femme et notre enfant en octobre 2016, mais dans le désert nous avons été kidnappés et séparés. Après avoir payé sa rançon, ma femme a réussi à prendre la mer. En janvier 2017, elle a coulé. Elle a coulé avec notre enfant… À ce moment-là, j’ai vécu la plus grande tristesse qu’un homme peut vivre.
En aout 2017 j’ai payé pour prendre la mer, mais en fait nous (466 personnes) avons été vendus à un autre trafiquant. Nous étions environ 480 hommes et femmes entassés dans un entrepôt. En janvier 2018, à bout de patience des mauvais traitements quotidiens, nous nous sommes enfuis. J’ai fait partie d’un groupe de 48 personnes capturées, avant d’être revendu à deux reprises.
En mai 2018, après avoir payé la rançon et la traversée, nous avons pris la route vers la mer. En chemin, nous avons été environ 380 à être kidnappés. En juillet 2018 nous avons de nouveau payé et nous étions une soixantaine à prendre la mer. Après avoir navigué pendant environ 16 heures, nous sommes tombés en panne d’essence. Nous avons croisé un bateau italien qui ne s’est pas arrêté, puis quelques heures plus tard un bateau libyen nous a ramené à terre. Nous avons été arrêtés et mis en centre de détention… Ce n’est pas la peine que je te décrive la vie ici parce que tu l’as vu par toi-même. Jusqu’à présent, les choses sont comme tu les vois… »
Février 2020 - N.A.

« En février 2019 j’ai été interviewé avec huit de mes codétenus par le HCR. Quelques mois plus tard, six ont été évacués. Jusqu’à présent, je n’ai reçu aucun retour de leur part. Nous sommes tous ici demandeur d’asile; alors pourquoi le HCR ne s’occupe pas plus de nous ? »
Février 2020 - E.T.

« J'ai été arrêté et envoyé dans le centre de détention de Gharyan. Là je fus enfermé pendant 7 mois avec quasiment rien à manger et sans voir la lumière du jour. J’ai vu tant de personnes mourir, j’ai perdu tant d’amis… »
Février 2020 - T.T.

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Centre de détention
de Dahr Al Djebel

Le centre de détention de Dahr Al Djebel, situé dans les montagnes de Nafoussa entre la ville de Zintan et celle de Yefren (à environ 150 km au sud de Tripoli) est l’un de ces centres officiels.
Début 2020, sa population était d’environ 500 détenus, majoritairement érythréens, mais aussi une trentaine de Somalis.
La plupart des érythréens enfermés ont fui la dictature de leur pays, avant de se retrouver piégés dans le système de détention libyen. Certains se trouvent dans ce centre depuis mars 2017, même si la majeure partie a été transférée en septembre 2018 de Tripoli, après que des combats aient éclaté à proximité de plusieurs centres de détention. Avant cela, beaucoup se sont retrouvés aux mains des trafiquants qui les ont torturés pour leur soutirer de l’argent (les familles restées au pays ou en exil sont mises à contribution). Certains ont pu tenter la traversée de la Méditerranée, mais ont été ramenés par les garde-côtes libyens. Il faut préciser que ces mêmes garde-côtes sont soutenus et équipés par les états européens.

En 2020, le centre de détention de Dahr al Djebel sera attaqué deux fois par des groupes armés dans le but de kidnapper les détenus… Janvier 2021, le centre sera finalement totalement vidé. Malheureusement, cela ne résout pas le problème mais ne fait que le déplacer et ces demandeurs d’asile se retrouvent de nouveau à la merci des trafiquants et des violences !

Sans remise de peine
Sans remise de peine
Sans remise de peine
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Le quotidien:
attente & désespoir

Être détenu, c'est se sentir inutile, vous ne travaillez pas, vous n'aidez pas votre famille... Si vous mourez, le monde ne s'en rendra même pas compte.
La journée se passe à somnoler et quand vient la soirée, suivie d’une nuit interminable, le sommeil reste absent… La perception du temps n'est pas la même, tout devient lent, très lent. Le temps s'étire, il n'est plus dynamique, il stagne, l'esprit aussi.
Jour après jour, à attendre, attendre une réponse du HCR qui n’arrive pas !

Sans remise de peine
Sans remise de peine
Sans remise de peine
Sans remise de peine
Sans remise de peine
Sans remise de peine

La diète quotidienne est peu variée et bien insuffisante (que ce soit en vitamines et sels minéraux tout comme la quantité de Kcal) : le petit déjeuner est composé d’un morceau de pain parfois agrémenté d’une vache-qui-rit, pour le déjeuner du riz et le pour dîner des pâtes. Aucun réconfort ne pourra être trouvé de ce côté-là.

La foi dernier lien pour ne pas sombrer…

7 Janvier 2020, Célébration de Genna (ገና) aussi appelé Ledet (ልደት) ou la naissance de Jésus-Christ selon le calendrier Orthodoxe.

La grande majorité des détenus érythréens, présent dans le centre de Dahr AL Djebel, est de confession Orthodoxe Copte. Elle cohabite pacifiquement avec une cinquantaine d’érythréens Musulmans. Dans un contexte où n’importe quel croyant pourrait douter, la foi, quand bien même mise à rude épreuve, est sans doute le dernier lien qui les empêche de sombrer. Mais la foi n’empêche pas le désespoir…

« Je préférais être mort en Méditerranée plutôt que d’être ici à prier tous les jours… »
Octobre 2019 - T.T.

Sans remise de peine
Sans remise de peine
Sans remise de peine

La communauté s’organise…

Alors la communauté s’organise pour ne pas sombrer dans le désespoir total, et essaye de sauver ce qui peut l’être encore. Une routine quotidienne est imposée avec des activités comme des cours d’anglais ou une demi-heure de marche dans la cour intérieure des blocs.
Bien entendu, pour certains le sport tient une place importante dans le quotidien.

Un championnat de football a été organisé par les détenus. Les équipes de chaque chambrée des blocs 1, 2 et 3 s’affrontent pendant deux semaines… L’espace d’un instant spectateurs et joueurs oublient leur condition. Le 31 décembre 2019 a eu lieu la finale du championnat. L’équipe de la chambre 7 du bloc 1 remportera la "Zintan Champion League"

Sans remise de peine
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Consultations
médicales MSF

Sans remise de peine
Sans remise de peine
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1er décembre 2019, consultation médicale MSF au centre de détention de Dahr Al Djebel
Un grand nombre de détenus souffrent de maux de dents, un dentiste semble tout aussi vital qu’un psychologue. MSF tente une réponse à la santé mentale, mais n’est pas forcement en capacité de fournir les soins dentaires nécessaires.

Avant l’intervention de MSF, de septembre 2018 à mai 2019, au moins 22 personnes sont décédées principalement de la tuberculose. Parmi les morts, se trouvaient de jeunes hommes, des femmes et un enfant de huit ans. L’IOM (l’Organisation Internationale pour les Migrations) et le HCR (Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés) étaient pourtant censés y assurer des missions d’assistances, notamment médicales et de protection.

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Evacuation:
l'urgence

Sans remise de peine
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Le 15 décembre 2019, après des semaines de négociations, le HCR évacuera 11 détenus sur les 509 présents… ils transiteront au Niger le temps qu’un pays tiers leur accorde l’asile…
Fin 2020, ces 11 demandeurs d’asile sont toujours au Niger à attendre !

De 2016 à fin 2020, Plus de 60 000 réfugiés et migrants sont interceptés en mer et renvoyés en Libye (dont 8 435 en 2020). Par contre de novembre 2017 à fin 2020, seulement 6186 réfugiés et demandeurs d’asile vulnérables ont été évacués de Libye, dont 811 en 2020… pour 44 725 réfugiés ou demandeurs d’asile enregistrés selon les données du Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés.

Mais en réalité, ces réfugiés ou demandeurs d’asiles, tout comme ceux qui ne sont pas enregistrés, ne sont ni protégés ni aidés en Libye (ou si peu)
Sans évacuation et quand bien même le HCR réussirait à les faire libérer (accompagné d’un package ponctuel et bien insuffisant de "réfugiés urbains"), ces réfugiés/demandeurs d’asile se retrouvent de nouveau à la merci des trafiquants et des violences !
Il est urgent que ce cycle interminable de violences et de détention soit brisé et que soient mises en œuvre des mesures de protection concrète en Libye d’abord, suivies au plus vite d’une évacuation… Mais où ? Et quand ?
L’Europe, malgré la COVID, doit impérativement créer et ouvrir des voies sûres et légales d’entrée sur son territoire à ces milliers de personnes bloquées en Libye…

A Propos

J’ai passé cinq mois dans le centre de détention de Dahr Al Djebel, mandaté par MSF. On ne peut se retrouver que désarmé et démuni face à une telle détresse. Le quotidien est lourd, pesant et l’espoir semble avoir abandonné ce(s) lieu(x). Quand bien même, avec les équipes, nous répondons à des besoins vitaux, nous n’avions pas vocation à devenir le service de santé d’un système de détention arbitraire. Il faut les faire sortir ! Mais comment y arriver alors que tout le monde semble leur avoir tourné le dos ? Où les envoyer, quand on sait que la Libye ne peut être considérée comme un pays sûr ? Alors on essaye juste d’être là, d’être présent pour eux !

Lorsque j’ai demandé à un des leaders de la communauté érythréenne l’autorisation de faire ce reportage, voilà comment il a passé le message à ses codétenus :
« Acceptez d’être pris en photo, dites-lui ce qu’il veut savoir, de toute façon nous sommes déjà morts ! »

Reportage réalisé avec:
Film 120, Ilford Delta 400 - Focale 80mm

Dans portfolios

Sans remise de Peine (1/2)

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Témoignages de détenus

Centre de détention de Dahr Al Djebel

Le quotidien: attente & désespoir

La foi dernier lien pour ne pas sombrer…

La communauté s’organise…

Consultations médicales MSF

Evacuation: l'urgence

A Propos

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