On atteint mieux Dirree Sheek Huseen à pied, c’est le rythme des hommes et des bêtes, celui de la pensée aussi. Se rendre à cet endroit, c’est aller à la rencontre d’un lieu Saint, à la rencontre des hommes et des femmes qui l’habitent surtout mais encore des 50,000 "pèlerins" (appelé aussi bien en Afan Oromo qu’en Amharique Muda) qui s’y rendent deux fois par an.
La ville doit son nom au Sheek Nur Huseen, personnage mythique et légendaire qui a traversé le pays à pied en accomplissant divers miracles. L’histoire veut que le père de Sheek Nur Huseen soit venu d’Irak avec 300 fidèles et ait converti la corne de l’Afrique au environ du IXe siècle après JC. Sheek Nur Huseen est donc né en Éthiopie. Il devait élire Dirree pour terme de sa pérégrination où il fonda une madrasa comptant 6,666 élèves.
Parmi les miracles qu’on lui attribue, il faut citer le détournement de la rivière Shabeelle qui lui barrait la route: Sheek Nur Huseen en détourna le cours à l’aide de son bâton. Ce bâton n’est autre que celui des pèlerins, il se caractérise par une extrémité supérieure en forme de "V". Cette forme est loin d’être anodine puisqu’elle est attestée dans bien des traditions, sur des monnaies daces (ancienne Roumanie) par exemple, c’est aussi l'hiéroglyphe du dieu bicéphale Janus ou la forme de la baguette du sourcier. Ce bâton a pour nom "Ulle Sheek Huseen"
Plus surprenante est la légende qui veut que Sheek Huseen soit parti de Dodola, dans la région du Balé, pour rallier à pied le point où il fonda sa cité. Il existe une montagne à Dirree Sheek Huseen qui présente la même forme et les mêmes dimensions que la montagne de Dodola, ainsi, la montagne a suivi l’homme, à ce titre elle est incluse dans les lieux sacrés visibles dans cette zone.
Les pèlerins viennent de toute l’Éthiopie à Dirree Sheek Huseen se recueillir sur la tombe du Saint, le lieu porte plusieurs marques des miracles qu’il y a accomplis. Deux pèlerinages ont lieu chaque années: au mois du Hajj (celui du pèlerinage à la Mecque) au cours duquel on célèbre la naissance du saint, au mois du Rabi’al-Awwal, mois de sa mort.
Il faut rappeler que l’Éthiopie est une terre empreinte de spiritualité, Dirree Sheek Huseen est l’un des trois centres de pèlerinage, les deux autres étant Kullubi et Gishen Maryam. Sur cette parenté de noms entre des lieux Saints éthiopiens et les religions du Livre, Dirree Sheek Huseen se trouve en pays Oromo dont le chef lieu actuel se nomme Adama/Nazareth. Ainsi, l’Éthiopie peut être regardée comme une très ancienne terre d’asile pour les trois religions du Livre. La Tradition confirme cet état de fait puisqu’elle situe une des patries du mystérieux royaume du prêtre Jean en "Abyssinie", cette terre correspond à ce qui était le royaume d’Éthiopie qui couvrirait aujourd’hui l'Éthiopie et l'Érythrée mais encore le nord de la Somalie, Djibouti, le sud de l'Égypte, l'est du Soudan, le Yémen…
Dirree Sheek Huseen se situe sur les bas plateaux à 1385m d’altitude. La plupart des pèlerins se regroupent par villages et se cotisent pour affréter un bus qui leur assure leur transport aller retour. D’autres s’y rendent à pied. C’est un pèlerinage populaire, ce type de rassemblement, inséparable de la notion de cheminement, doit évoquer pour le Chrétien les chemins de Saint-Jacques de Compostelle.
Un des aspects les plus attachants des divers pèlerinages effectués en Éthiopie est l’absence de sectarisme. L’Occidental qui le découvre ne peut que remarquer que ces pèlerinages, voués à des lieux Saints relevant de l’Islam, de l’église orthodoxe éthiopienne ou de la spiritualité animiste rassemblent indistinctement des croyants des différentes confessions, sans la moindre animosité d’une part ou de l’autre. Ainsi, des Chrétiens viennent rendre hommage à un saint de l’Islam et inversement. Il faut garder à l’esprit la place que tiennent les saints dans le soufisme "islamique" qui est le gardien de l’ésotérisme propre à cette religion. Ainsi, le voyageur se trouve pris dans un élan de Foi et de Spiritualité.
"N’ont-ils pas voyagé de par le monde? Ont-ils un cœur pour comprendre et des oreilles pour entendre? Car ce ne sont certes pas les yeux qui deviennent aveugles, mais bien les cœurs qui sont dans les poitrines" (Coran 22:46)